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L’apprentissage du monde

L’apprentissage du monde


Certains livres nous frappent. On veut en parler et en dire du bien pour partager notre enthousiasme. Mais leur forme est à ce point inattendue qu’on ne sait trop comment s’y prendre, surtout s’il s’agit d’un roman, et qu’on ne veut pas non plus dévoiler le dénouement de l’intrigue. C’est le cas avec ce livre. Un jeune homme prometteur (Grasset, 2014) est le premier roman de Gautier Battistella. Il lui a valu le prix Québec-France Marie-Claire Blais.

D’abord et avant tout, Un jeune homme prometteur est un roman remarquablement réussi, qui se situe, si on peut lui coller une étiquette, dans la grande tradition du roman d’apprentissage : un jeune homme, aux origines troubles, et venant d’à peu près nulle part, mais désireux de parvenir et résolu à devenir quelqu’un, cherche à s’arracher à son milieu et à percer dans la capitale, c’est-à-dire à Paris.

Et la France a son mythe : on monte moins à Paris pour devenir PDG qu’écrivain. N'est-ce pas ce qui fait le charme universel du vieux pays? On prendra sa revanche sur la société. On la dominera. Elle nous admirera et au même moment, on lui fera comprendre que cela nous importe peu. On veut que tout le monde reconnaisse notre caractère unique. On rêve à la fois des honneurs et on flatte son orgueil en s’imaginant grand solitaire. À sa manière, Un jeune homme prometteur est un portrait au vitriol du milieu littéraire.

C’est une histoire éternelle, et pourtant, il faut chaque fois la reprendre, parce qu’elle se décline de manière originale à chaque époque. Les codes de la reconnaissance sociale changent, les qualités à faire valoir par les milliers de Rastignac varient avec le temps, et surtout, les places au sommet de la société sont peu nombreuses : on n'y laisse pas entrer le grand nombre. «À nous deux, Paris», dit la célèbre formule. Il arrive que Paris ne se laisse pas faire.

Un jeune homme prometteur nous raconte donc l’histoire d’un petit orphelin de province, adopté par une bonne grand-mère avec son petit frère. Il a un esprit trouble. Une part sombre. Une part noire. En un sens, il est prêt à tout, dans un autre, il s’y refuse. Il voudrait bien briller mais n’y parvient pas vraiment. Alors il lui arrive le même sort qu’à tant d’autres ambitieux : il végète et parvient à peine à survivre. Comment le beau monde peut-il bouder son talent?

Et pourtant, il aurait pu parvenir. Mais il est tiraillé entre son ambition conquérante et la quête de ses origines – deux récits qui ne se croisent pas toujours mais qui ici, se fécondent très bien. Son rapport au réel est trouble. Le lecteur un peu perspicace comprendra assez rapidement vers quoi se dirige l’intrigue. Il la devinera assez bien, en quelque sorte, mais il voudra poursuivre pour confirmer ses soupçons. Il se rendre avec bonheur jusqu’à la fin de l’ouvrage.

À travers ses 400 pages, Battistella multiplie les observations sur la société contemporaine, sur l’ambition sociale, sur le désir entre les deux sexes, sur la stupidité des mondainités littéraires. Du sud de la France à la Thaïlande, en passant par Paris, évidemment, tout est soumis au regard assassin du narrateur, qui n’épargne jamais la bêtise de l’époque – il faut dire qu’elle nous offre de nombreuses occasions de la mépriser et que c'est un plaisir dont on ne devrait pas se priver.

En un sens, celui qui veut conquérir la société la découvre toujours moins exceptionnelle qu’il ne se l’imaginait. Éternelle redécouverte! L’ambitieux des premiers jours avait peut-être un idéal. Il deviendra vite un cynique qui a un seul souci : ne pas se laisser bluffer. La tentation du retour aux origines sera peut-être plus forte que tout. Il s’imaginera peut-être retrouver l’innocence perdue. C’est évidemment une illusion. Le regard enchanté sur le monde est le privilège de l’enfance.

Un jeune homme prometteur nous offre un grand bonheur de lecture. Celui qui lira ce livre le crayon à la main ne cessera de noter les formules heureuses ou cruelles et de les consigner dans son calepin. La plupart sont cruelles, très cruelles, d’autres sont tendres. Car rares sont ceux qui échappent au venin de la mélancolie. De temps en temps, l'homme a le regard embué par ses vieux souvenirs. Un jeune homme prometteur est un premier roman. On nous pardonnera la formule convenue: on attend avec impatience le suivant!

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